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En réponse au journal "Le Monde"
dimanche 21 mai 2006

L’article que vous avez publié dans votre édition datée du samedi 15 avril sous le titre « A Toulouse, la police aux frontières se concentre sur la lutte contre le travail clandestin » a fait réagir les militants du « Rassemblement des ouvriers sans-papiers, gens d’ici et leurs amis » de Toulouse.

Nous vous adressons quelques remarques qui, à notre avis, peuvent alimenter le débat actuel sur le projet de modification du CESEDA prévu ce printemps au Parlement, et sur la fameuse circulaire du 21/02 qui vise à augmenter et à rendre plus performantes les arrestations de gens sans-papiers, circulaire que nous qualifions de vichyste.

Nous espérons que vous pourrez publier ces remarques dans les pages « politique et société », ou dans les pages « Débat ». Nous vous en remercions par avance.

1°) Dans l’article, vous citez des chiffres et des statistiques annoncés par le bien nommé « responsable de la logistique de l’éloignement et du suivi statistique ». Tout d’abord, faut-il rappeler que derrière ces chiffres et ces statistiques, il y a une réalité ? Et que cette réalité, ce sont des hommes, des femmes, des enfants qui vivent en France et y travaillent, et pour certains depuis de nombreuses années. Il y a des vies faites des travaux durs effectués dans le bâtiment, la restauration, l’agriculture ; des vies faites aussi de batailles politiques menées pour être régularisés et enfin comptés pour ce que nous sommes : des ouvrier(e)s de France.

2°) Les « éloignements » des ouvriers arrêtés, il faut aussi les appeler par leur nom : ce sont des expulsions du territoire français. L’élimination juridique que prévoit la loi Sarkozy 2 débattue ce printemps au Parlement (pratiquement plus aucune régularisation prévue dans le cadre de la loi), est complétée par l’élimination physique. Là aussi, ne cachons pas la réalité faite aux gens ici : l’expulsion est une élimination physique du territoire car par cette mesure l’Etat fait disparaître du jour au lendemain des gens qui sont vos voisins, vos collègues de travail sur le chantier ou l’atelier, ou dans le champ, ou tout simplement des gens que vous côtoyez tous les jours dans les rues et dans les transports de nos villes.

3°) Derrière les chiffres, il y a des gens réels, des vies réelles qui sont brisées. Derrière le terme étatique et administratif de « responsable de la logistique de l’éloignement et du suivi statistique » qu’y a-t-il si ce n’est l’indication que notre pays s’est doté d’une machine persécutrice à grande échelle ? Et il ne suffit pas de dire « nous ne nous considérons pas ici comme la police de répression des étrangers, mais la police d’application du droit, et des droits, des étrangers » pour faire disparaître les rafles, les contrôles, les expulsions qui ont lieu quotidiennement et que le gouvernement entend amplifier. Ou alors le droit des ouvriers étrangers en France est exclusivement devenu celui de se faire rafler, contrôler, expulser ?

4°) Comment notre travail pourrait-il être « clandestin » ? Les immeubles et les pavillons que nous montons et que vous venez habiter, les fruits et légumes que nous faisons pousser et que vous achetez sur les marchés, les plats que vous mangez dans les restaurants… tout cela est-il « clandestin » ? Notre travail se voit et tout le monde en profite dans le pays, ce qui est la bonne raison de tout travail dans la société. Il n’y a là rien de clandestin ! Nous travaillons sans droit, et non pas « au noir » et « clandestinement » : nous ne cherchons pas à tricher sur les impôts et sur les charges. Nous cherchons juste les droits liés à notre travail.

5°) Contrairement à ce qui est indiqué dans l’article, il y a depuis quelques semaines à Toulouse et dans la région une traque aux ouvriers sans-papiers. Les lieux principalement visés sont les chantiers où les contrôles de papiers deviennent incessants et insupportables. Nous pouvons citer à ce propos un exemple précis : vendredi 14 avril, nous sommes allés soutenir au Tribunal Administratif un de nos camarade et ami du Rassemblement qui s’est fait contrôler après le travail. Il y avait à l’audience 3 autres personnes, toutes ouvrières, raflées pendant le travail ou à la sortie du travail. Notre ami, ainsi que les 3 autres personnes, a été maintenu en rétention. Il peut être expulsé à tout moment ; cela fait 8 ans qu’il travaille comme maçon dans la région de Toulouse, cela fait 5 ans qu’il vit avec sa compagne à Toulouse…Simple chiffre de plus ? La situation est devenue si critique pour les entreprises du bâtiment, que certains artisans sont obligés de déposer le bilan par manque de main-d’œuvre !

Pourtant ce n’est pas faute pour certains de ces patrons que nous connaissons d’avoir demandé à la Préfecture d’ouvrir la régularisation des ouvriers dont ils ont besoin. Nous nous battons pour que notre travail soit légalisé, et que comme en Espagne l’année dernière, le gouvernement ouvre une large régularisation sur la base du travail. L’économie espagnole ne s’en est portée que mieux, les caisses de retraite et de sécurité sociale aussi, même les compagnies d’aviation ont été surprises de l’augmentation des vols vers l’Amérique du sud dont sont originaires bon nombre d’ouvriers régularisés d’Espagne !

6°) Par contre, à parler chiffre, combien coûte cette persécution contre nous ? A combien de millions d’Euros se chiffrent les travaux de fonctionnaires se cassant la tête pour écrire la nouvelle loi qui va bloquer toute possibilité de régularisation, ou les nouvelles directives pour rafler au mieux ? Combien coûtent les sections des Bureaux des Etrangers dans toutes les Préfectures de France ? Combien coûtent les contrôles de police pour nous traquer, nous arrêter ? Combien coûtent les expulsions ? Combien coûtent les Polices de l’Air et des Frontières ?

7°) Et surtout, nous demandons à chacun : êtes-vous prêts à payer le prix politique d’une telle loi et d’une telle politique, et de ce que cela entraîne pour tout le pays ?


Article paru dans l’édition du 15.04.06 du "Monde"

A Toulouse, la police aux frontières se concentre sur la lutte contre le travail clandestin

Le lundi 10 avril commence à la direction départementale de la police aux frontières (PAF) de Toulouse par une réunion hebdomadaire des chefs d’unité. On y fait un point sur les interventions du week-end et sur les principaux dossiers des jours à venir, ainsi qu’un bilan de l’activité du mois. « Deux affaires de faux papiers élucidées, une de travail illégal, huit étrangers en situation irrégulière éloignés, un aidant à séjour irrégulie r interpellé », égrène la responsable de la logistique de l’éloignement et du suivi statistique. « Nous sommes encore loin de nos objectifs, mais nous ne sommes qu’au début du mois », souligne-t-elle, comme pour prévenir une remarque de son directeur, Thierry Assanelli.

Au sein de cette direction, depuis trois ans, le nombre des interpellations et celui des éloignements d’étrangers en situation irrégulière ont fortement augmenté, passant respectivement de 478 à 850, et de 131 à 517, entre 2002 et 2005. Thierry Assanelli dément d’emblée développer la « culture du chiffre ». « Nous ne nous considérons pas ici comme la police de répression des étrangers, mais la police d’application du droit, et des droits, des étrangers », assure-t-il.

Ici, la priorité n’est pas aux interpellations sur la voie publique, aux guichets des préfectures, au domicile ou dans les foyers et centres d’hébergements, préconisés par la circulaire ministérielle du 21 février. La PAF de Haute-Garonne se défend d’être « une unité de ramassage », de faire la « chasse aux sans-papiers ». La lutte contre l’immigration irrégulière passe avant tout, pour elle, par la lutte contre le travail illégal.

Ce lundi, la brigade mobile de recherche (BMR) a décidé d’intervenir dans des entreprises de restauration rapide. « Elles nous ont été signalées par le parquet, qui a reçu des plaintes, et par la concurrence », explique le commandant Escale, son responsable. Deux équipes se préparent à « taper » cinq restaurants. Pour la première, le coup de filet est assez rapide et sans heurt : les trois agents en civil entrent dans le restaurant, montrent leur carte professionnelle et demandent à chacune des personnes derrière le comptoir de décliner son identité, sa fonction et de présenter ses papiers.

L’un des trois employés qui travaillent tous « au noir » est embarqué et placé en garde à vue. De nationalité turque, il n’a pas pu présenter une carte de séjour valide. A l’issue de sa garde à vue, il se voit notifier un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière.

« ABATTAGE »

Le même sort est réservé aux deux employés, une Algérienne et un Bangladais, de l’entreprise « tapée » par la seconde équipe. En fin de journée, le Bangladais est remis en liberté, faute de place en centre de rétention administrative et surtout en raison de la difficulté à organiser des retours vers son pays. En revanche, le Turc et l’Algérienne sont conduits en centre de rétention.

Les deux employeurs ? Absents l’un comme l’autre au moment de l’intervention. Convoqués, ils se présentent dans la soirée aux policiers et sont placés pour la nuit en garde à vue. A l’issue de leur audition, ils repartent libres avec une convocation devant le tribunal.

La Cimade, habilitée à intervenir dans les centres de rétention, s’interroge sur l’effet dissuasif de ces interventions, constatant que les premiers inquiétés ne sont pas tant les patrons que les employés sans titre de séjour. « Ces mesures d’éloignement passent un peu inaperçues, mais elles alimentent les objectifs que la PAF doit remplir », relève Yamina Vierge, déléguée régionale de l’association.

A moins qu’ils ne soient multirécidivistes, très peu d’employeurs sont déférés devant le procureur immédiatement après le constat du délit. « Les peines prononcées sont néanmoins de plus en plus lourdes et l’on voit depuis deux ans tomber des peines de prison ferme, relève le capitaine Philippe Vimbelle, responsable adjoint de la brigade mobile de recherche. En 2005, deux employeurs ont pris pour l’un douze mois d’emprisonnement dont quatre avec sursis, pour l’autre dix-huit mois dont douze avec sursis. »

Reste que certains, au sein de la brigade, ne cachent pas avoir parfois le sentiment de faire de l’ « abattage », plus que de l’investigation de fond. « Nous avons plutôt tendance à intervenir en flagrant délit que sur commission rogatoire. Car quand on fait une grosse recherche, on ne fait rien à côté », reconnaît un des agents.

En juin, au bout des pistes de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, un nouveau centre de rétention doit ouvrir ses portes, d’une capacité de 126 places. « Nous ne pousserons pas les feux. Ce centre se remplira tout seul, entre les personnes qui nous seront envoyées par les autres départements et celles que nous ne pouvons placer faute de places », assure Thierry Assanelli.

La préfecture s’est fixé l’objectif de 545 éloignements effectifs d’étrangers sans papiers dans le département en 2006.